La revanche du vilain petit canard

Il y a une époque pas si lointaine où personne ne voulait des Ducati. Les superstars se faisaient tirer l'oreille pour poser leurs augustes miches sur les selles de Borgo Panigale. Les teams satellites préféraient avoir une japonaise N_1 ou N_2 en payant cher plutôt que d'avoir une rouge à vil prix. Les rouges étaient réservées aux équipes ou aux pilotes de seconde zone. Puis à force de travail, d'abnégation mais surtout à force d'intelligence et d'innovations, les rouges sont devenues désirables. Elles sont devenues fiables et performantes. Elles sont pourtant parties de loin avec leur unique atout: le célèbre moteur à distribution desmodromique qui peut prendre autant de tours qu'il veut sans faire une salade de soupapes. Sur ce moteur ils ont mis deux roues et une selle mais ça ne suffisait pas à en faire une moto. Pour faire un dragster qui n'a pas besoin de tourner: oui mais une moto de course ça doit tourner et c'était là le problème... La Ducati ne voulait pas tourner ! Alors ils ont bossé dans la modestie avec les pilotes qui le voulaient bien ou qui étaient tricards ailleurs. Ils ont fait venir des ingénieurs ingénieux. Ils ont formé des techniciens. Ils ont vécu aux crochets des patrons allemands qui voulaient les vendre à une époque mais personne ne voulait acheter. Et puis à force de volonté le vilain petit canard s'est transformé en beau cygne. Aujourd'hui les rouges sont enviées, désirées. Elles raflent tout, squattent les premières lignes, les victoires et les podiums. Elles ont tant de succès qu'elles sont trop nombreuses et ce sont les japonais qui pleurent pour avoir une équipe satellite. Les équipes satellites se contentent d'une N_1 bien suffisante puisqu'ils arrivent à gagner avec. Les adversaires tentent de subtiliser leurs ingénieurs, ils copient leurs innovations. Les pilotes remercient le ciel d'avoir une Ducati. Les superstars d'antan ont changé d'avis et celles d'aujourd'hui voudraient bien poser leur miches dessus. Il faut dire qu'autour de leur célèbre moteur, les rouges ont rajouté un châssis qui va bien dans les virages qui tournent. C'est peut-être même le meilleur châssis du moment. Ils ont rajouté de l'aérodynamique, beaucoup d'aéro pour stabiliser la moto à haute vitesse. Ils ont rajouté de l'électronique, beaucoup d'électronique pour dompter le fougueux moteur, passer sa puissance au sol et préserver les pneus. Leur moto n'est plus réservée à un seul pilote équilibriste puisqu'elle est adaptée à tous. Petit, grand, bossu, chacun performe avec. Ils ont tellement bossé qu'ils sont devenus les meilleurs... PARTOUT et sur tous les circuits ! En ligne droite ils enrhument leurs concurrents, en virages ils tournent court. Leur succès sur les pistes est tel qu'ils éclatent leurs chiffres de ventes dans les concessions même en vendant leurs meules au prix de l'or. Les patrons allemands tiennent leur revanche. Aujourd'hui ont veut leur racheter Ducati mais eux ne sont plus vendeurs.

Pourtant et malgré le succès, on sait rester modeste chez les rouges. On saute encore de joie à chaque victoire car on n'est pas encore blasé. Dès le drapeau à damiers agité on fait le tour des stands pour féliciter chaque pilote Ducati car c'est aussi grâce au pilote qu'une moto gagne. On sait que le succès est éphémère et qu'il faudra encore travailler. On sait aussi qu'il faut préserver les adversaires car sans adversité le succès ne vaut rien alors on est prêt à abandonner deux motos à leur profit. Le vilain petit canard a bien grandi en restant intelligent. Très intelligent !

Pour certains d'entre vous qui ont cru voir cet article ailleurs, ce n'était qu'un vulgaire brouillon. Les originaux sont réservés aux lecteurs de JustBiker.net